dimanche 20 mars 2011

Patrimoine (s) sabranais… … l’écrin saint Julien de Pistrin





Activités de l’association Muses & Hommes

Nul ne saurait nier l’importance croissante des Journées européennes du Patrimoine instaurées par un célèbre ministre de la culture français en 1984. L’association Muses et Hommes, sollicitée par l’office de tourisme intercommunal Rhône Cèze Languedoc, avait l’immense fierté de présenter une exposition intitulée Patrimoine(s) sabranais. 40 panneaux pour montrer et raconter quelques uns des trésors subrepticement dissimulés sur notre commune à l’instar d’un calvaire situé près du mas de camp qui a été mis en valeur au mois d’octobre[1].




Parallèlement, l’association a organisé les journées du patrimoine dans un joyau de notre commune : la chapelle Saint Julien de Pistrin magnifiquement restaurée par l’association des Amis de saint-Julien[2]. Vous avez été nombreux (plus de 200) à venir visiter cet édifice. Nous vous remercions pour votre soutien qui nous confirme dans l’idée qu’un tel lieu ne doit pas rester fermé.

Calvaire datant de 17









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Saint Julien de Pistrin, un lieu de mémoire.

De 1241[3] (au moins) à 1807, cette chapelle a été un lieu historique clef pour la commune. Tout ce qui pouvait advenir de la vie religieuse et civile s’y déroulait. Il faut rappeler que l’enregistrement des naissances (baptêmes), mariages, décès, ces trois temps fondamentaux de la vie, se tenait dans ces structures paroissiales avant que nos mairies en soient les dépositaires.

La mémoire et l’histoire de ces murs s’est perpétuée grâce à la force associative de Monsieur Gilbert Pigoullié et des membres de l’association des Amis de saint Julien. Le résultat de leur travail acharné est en tout point remarquable. Nous leur sommes reconnaissants pour leur vision et leur lecture du patrimoine. Ils ont perçu toute l’importance de restaurer un tel lieu pour les générations futures.

La lecture de la pierre, un voyage dans le temps

Bien sûr nous ne sommes pas en présence d’une « Bible de pierre » comme celle sculptée sur les flancs de la cathédrale d’Amiens. La chapelle nous offre toute la simplicité d’un édifice religieux rural. Néanmoins, une lecture dans différentes époques de construction, des destructions sont autant de cicatrices infligées à son aspect extérieur ou intérieur.


Mais la chapelle sait encore nous conter son histoire ; sa structure, l’épaisseur de ses murs, ses arcades, montrent que c’est un édifice roman. Les fouilles faites lors de la restauration ainsi que la base de l’abside nous mèneront même jusqu’à la période gallo-romaine. Une voûte sur arrêtes, une croisée d’ogives et nous voici à l’époque gothique. Un vitrail contemporain représentant le saint éponyme de la chapelle nous renvoie au IVe siècle lors du martyre de Julien. Les vestiges et le nom du lieu rappellent, quant à eux, qu’à cet endroit de sabranum se tenait les meules d’un ancien domaine agricole.


Une décoration « diablement » intéressante !

Lors des commentaires de nos visites, nous avons eu l’occasion d’évoquer de nombreux éléments de décoration. Les marques de tâcherons intriguent, les gargouilles surprennent davantage. On ne peut réellement « voir » cette chapelle sans lui consacrer un peu de temps. La lumière ascendante ou déclinante révèle à nos yeux, la palette décorative de ces artistes oubliés qui ont façonné la matière. C’est là que l’expression « saint Julien ne s’est pas faite en un jour » pourrait prendre tout son sens.

Pourtant nous savons que la destruction et l’abandon est plus aisé. Après les guerres de religion, celles qui ont aussi mis à mal notre château, la chapelle fut partiellement détruite et réédifiée en 1607. Il y a tout lieu de penser que ce sont les restaurateurs de ce temps qui nous ont laissé quatre fabuleuses sculptures. L’une d’elles intrigue le visiteur qui n’accepte pas cette présence dérangeante : un chapiteau montrant une tête d’homme proche du bouc, avec des poils longs sur les tempes, une barbe, … Pour nous, pas d’hésitation, c’est le diable !


Sans vouloir « tirer le diable par la queue » …

Trouver une représentation du diable dans un édifice chrétien n’est pas chose courante (on le voit plutôt à l’extérieur sur les façades). Pourtant, on retrouve ce symbole du mal dans la tentation du Christ (Evangile selon Mathieu 4-1-11) ou encore dans de nombreuses lignes de l’histoire de la chrétienté. A l’époque romane il est représenté comme un être terrible. J’ose avancer ici une hypothèse pour expliquer sa présence à saint Julien. Je me souviens jadis des propos d’un moine lors d’un chantier de restauration des stalles de la célèbre abbaye de Sénanque : il faut savoir que, dans la salle capitulaire, les moines cisterciens devaient confesser leurs pêchés devant toute la communauté. Au terme d’une séance ô combien humiliante où la contrition laissait place à la méditation, juste en sortant du chapitre, ils se trouvaient nez à nez avec une tête monstrueuse. Un diable sculpté les suivait du regard (toujours visible)[4] afin qu’ils ne puissent pas oublier que le démon les guettait à chaque instant de leur vie. Si le rappel de la tentation et des mauvais tours du malin est fréquente depuis le XIIIe s., les artistes aimaient aussi le tourner en ridicule[5] et pouvaient s’inspirer des diableries. Ce sont des légendes parfois théâtralisées où ce malheureux Satan voyait la fin de l’histoire se régler à ses dépends et le bien l’emporter. Alors, avec le diable de saint Julien comment ne pas imaginer un « rappel » comique ou une réminiscence des récits populaires où le diable vaincu par Polichinelle est affiché l’air idiot (comme un Patateu dirions-nous chez nous). Exorcisé par le ridicule, épinglé par l’art naïf du sculpteur, ce « singe de Dieu » semble comme emprisonné dans les murs tout puissants de l’église, et ressemble désormais plus à un trophée qu’à une menace même s’il tire la langue.

Mais au fond, peut-être que ma lecture de cette sculpture n’est pas la bonne. Alors je l’avoue « Errare hominum est, sed perseverare diabolicum »[6]. Mais le diable veille. Et pourquoi ne dirions-nous pas qu’il ne faut plus seulement aller jusqu’au « diable Vauvert » pour voir Satan mais aussi au « diable Sabran » ?[7]

A. PAU


[1] Un grand merci à Pauline et Xavier Delbecque pour leur action efficace et à l’aimable accueil de Madame Frac.

[2] Remerciements aussi pour le soutien des membres de l’association des Amis de saint Julien.

[3] ALAUS (Paul), CASSAN (abbé Léon) et MEYNIAL (Edmond), Cartulaires des abbayes d'Aniane et de Gellone publiés d'après les manuscrits originaux, Montpellier, J. Martel aîné, 1898-1900, 2 t. [ADH, BRC 115], n° 220, p. 352.

[4] MORIN SAUVADE (Hélène), FLEISCHAUER (Carster), Sénanque, Paris : éditions Zodiaque, 2002.

[5] VIOLLET LE DUC (Eugène), Dictionnaire raisonné de l’architecture…, tome V, p. 32.

[6] « L’erreur est humaine, mais persévérer dans l’erreur est diabolique … »

[7] Plusieurs légendes expliquent cette expression. En voici une que m’a raconté un ami vauverdois : le roi Charles IV le Bel (XIVe s), aurait obligé une centaine de Flamands qu’il avait vaincu à partir en pèlerinage à St Gilles près de Vauvert. Ces derniers seraient rentrés chez eux fortement marqués par les pièces de théâtre qu’on donnait sur le parvis de la cathédrale. Cependant, à chaque fois qu’ils devaient situer l’endroit où se jouait ces diableries, ils disaient « c’est loin, très loin, au diable Vauvert ».